Les français ont-ils un problème avec l’anglais ?
Les français sont plutôt nuls en anglais, et pourtant, l’anglais n’a jamais été aussi présent dans nos sociétés. Du coup, pourquoi le niveau ne remonte pas, pourquoi reste-t-il si bas ?
Découvrons-le ensemble dans ce 9e épisode de Ma Langue dans Ta Poche !
La Commission Espéranto-Langues d’EELV
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Penser à l’anglaise ? à l’américaine ?..
Dans son numéro du 13 mai 1997, « Le Figaro » rapportait que Robin Cook, nouveau secrétaire au Foreign Office dans le gouvernement de Tony Blair, voyait grand : « Il veut non seulement rendre à la diplomatie britannique un lustre que l’administration tory avait, selon lui, terni, mais il souhaite aussi que, demain, la Grande-Bretagne mène le monde. Pacifiquement, cela va de soi. Par la seule force de son économie, de son génie créateur, de sa culture et de sa langue ». Lors d’un discours prononcé aux États-Unis, Margaret Thatcher s’en est violemment pris à la France qui refuse de s’aligner docilement sur le modèle qu’elle a désigné ainsi : « Au XXIème siècle, le pouvoir dominant est l’Amérique, le langage dominant est l’anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon ». (Britain’s integration within a European superstate is unacceptable to me, because it means the loss of our freedom, of our independence and ultimately of our identity. But it would also represent a willful refusal to seize the opportunities offered to us. In this twenty-first century the dominant power is America; the global language is English; the pervasive economic model is Anglo-Saxon capitalism – so why imprison ourselves in a bureaucratic Europe? And why unbalance NATO, when the alliance has so many new challenges to face?)
Speech at the Hoover Institution (« A Time for Leadership ») | Margaret Thatcher Foundation
(« Marianne« , 31 juillet 2000) Quant à David Rothkopf, directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates, il a été encore plus précis dans un ouvrage paru en 1997 et intitulé « A Praise of Cultural Imperialism ? » (Louange de l’impérialisme culturel ?) : « Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines ; que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent. » Au bout du compte, il y a le fait que, par exemple dans les institutions européennes, dans des milieux où l’anglais occupe une place de plus en plus prépondérante, les natifs anglophones sont déjà préférés même aux polyglottes qui ont l’anglais pour seconde langue.
La croyance selon laquelle l’anglais apportera la solution est extrêmement répandue. Pourtant, beaucoup en reviennent déjà. Président directeur général de Renault, Louis Schweitzer avait décidé en 1999 que seul l’anglais serait utilisé dans les relations entre les comités des usines établies dans divers pays. Deux ans après, le 1er avril 2001, l’Agence France Presse faisait écho à une déclaration qu’il a faite à l’occasion de la création d’une fondation qui permettra aux Japonais de mieux connaître la France et d’apprendre le français : « La langue a été une difficulté un peu supérieure à ce que nous pensions. Nous avions choisi l’anglais comme langue de l’alliance mais cela s’est avéré un handicap avec un rendement réduit de part et d’autre. » Même le Président Jacques Chirac, qui n’est pourtant pas un indigent mental, s’est humblement excusé à New York, après l’attentat du 11 septembre, de parler en français après avoir avoué « my English is not very good ». A la question « Parlez-vous anglais lors de vos séjours à l’étranger ? », lors d’un entretien accordé à « Mon Quotidien » (25 septembre 1997), journal destiné aux enfants de 10-15 ans, il avait déjà répondu : « Oui, avec mes amis, mais jamais dans les discussions officielles, car je ne parle pas parfaitement cette langue et ce serait un handicap. Pour les sujets sérieux, il faut être sûr d’être bien compris ».
A son retour du sommet de Kyoto, Dominique Voynet avait déclaré au « Journal du Dimanche » (JDD) : « Toutes les discussions techniques se sont déroulées en anglais, sans la moindre traduction, alors qu’il s’agissait d’une conférence des Nations unies. Trop de délégués ont été ainsi en situation d’infériorité, dans l’incapacité de répondre efficacement, de faire entendre leurs arguments ». Ainsi pour traiter de sujets qui engagent l’avenir de l’humanité et de la planète, des spécialistes se sont déplacés du monde entier, ils ont séjourné dans un pays où tout est très cher, et leur temps a été en grande partie gâché.
Députée européenne, Mme Helle Degn avait cru bon de s’exprimer en anglais plutôt que dans sa langue : le danois. Cela faisait plus sérieux. Croyant dire qu’elle en était aux premiers jours de ses fonctions ministérielles, elle dit en fait qu’elle en était au début de sa menstruation
L’anglais devient l’espéranto de l’UE
https://www.liberation.fr/planete/2010/03/17/l-anglais-devient-l-esperanto-de-l-ue_615624
En quelques années, la retraite ordonnée du français dans les institutions européennes s’est transformée en sauve-qui-peut et l’anglais règne en maître presque incontesté à Bruxelles. On note bien ici ou là quelques îlots de résistance (comme à la Cour de justice de l’UE). Pour combien de temps ?
Désormais, les documents en français de la Commission représentent moins de 20% des textes, le reste étant en anglais. Des services entiers, comme la Direction générale économie et finance ou celle de la concurrence, ne travaillent plus qu’en anglais. Alors que la salle de presse de la Commission est censée être bilingue français-anglais, seuls les communiqués de presse d’une page sont encore traduits, souvent avec retard. La direction générale «transport» est devenue «move» et le Parlement européen a supprimé la signalétique en français de son hémicycle strasbourgeois.
Le site internet de l’UE comporte de plus en plus de pages uniquement anglophones et les sites des agences sont, pour la plupart, en anglais only (Europol, Eurojust, Agence européenne de l’armement, Agence de sécurité alimentaire, etc.). La Banque centrale européenne, pourtant sise à Francfort et dotée d’un président français, ne travaille qu’en anglais, alors que le Royaume-Uni n’est pas membre de la zone euro. L’Eurocorps, qui ne compte pourtant aucun soldat anglophone de naissance, a choisi de ne plus parler qu’anglais… Cet unilinguisme se traduit par un privilège exorbitant accordé aux anglophones de naissance. Ainsi, sur 27 chefs de cabinet de commissaires, six sont native English speakers (contre deux francophones) et sur 34 porte-parole de la Commission, 13 anglophones (contre trois francophones). Pour la première fois, la Commission a même recruté un porte-parole américain…
La victoire de l’anglais s’est faite au nom du pragmatisme : dans une Union à 27, impossible de parler au quotidien les 23 langues officielles, dit-on. Il n’en a jamais été question : il n’y a jamais eu que trois langues de travail (français, anglais, allemand) dans les institutions et deux (français, anglais) en salle de presse. En réalité, l’anglais est perçu comme une langue «neutre» et beaucoup, notamment à l’Est, veulent en terminer avec le français, qu’ils maîtrisent mal.
De l’avantage de l’anglais
Publié le dimanche 4 août 2002 , mis a jour le vendredi 4 juillet 2008,
https://sat-amikaro.org/de-l-avantage-de-l-anglais
Je suis citoyen des États-Unis, et j’en suis fier. Je suis fier également parce que nous sommes un pays important dans le monde d’aujourd’hui. Mais ce dont je ne suis pas fier, c’est la manière avec laquelle nous perpétuons cette importance.
Il s’agit là de l’usage de l’anglais dans le monde comme outil de communication. J’ai un avantage. Nous, Étasuniens, nous avons un avantage. Nous sommes l’élite, nous dominons à travers le monde entier et nous continuerons, car eux, c’est-à-dire les autres, ne pourront jamais communiquer aussi bien que nous. Ils travaillent durant des années et des décennies. Jamais ils n’atteindront notre niveau. Nous sommes l’élite.
Les locuteurs des autres langues (allophones) ? Ils pensent souvent utiliser parfaitement notre langue, mais, entre nous, nous faisons des commentaires ou plaisantons en cachette sur leurs erreurs. Je veux leur hurler : « N’êtes-vous pas capables de voir ce que vous faites ? C’est vous, qui vous enlevez votre pouvoir de communiquer ! C’est vous qui nous mettez durablement au-dessus de vous. » Et nous resterons au-dessus d’eux. Nous sommes l’élite et nous dominons le monde.
Je ne suis pas satisfait d’appartenir à l’élite. Voilà un Étasunien que ça n’intéresse pas de devenir maître du monde. Je suis un citoyen des États-Unis mais, au-dessus de çà — oui, au-dessus de çà — je suis un citoyen du monde. Vous autres, où que vous soyez, je vous considère comme des amis et même comme des frères et sœurs. Je ne veux pas être placé au-dessus de vous du fait d’un avantage injuste. Je serais beaucoup plus heureux de marcher à vos côtés et ainsi nous pourrions partager nos cultures, l’un avec l’autre ; nous pourrions ainsi être à égalité, nous pourrions ainsi nous respecter l’un l’autre.
Pourtant, vous refusez cela, vous, les allophones. Je pense que vous vous aveuglez face à la vérité. Les hommes semblent moins intelligents que ce qu’ils sont réellement lorsqu’ils parlent à une personne dans sa langue maternelle. Claude Piron, un espérantiste, me l’a fait remarquer et je le constate d’une fois à l’autre quand je travaille à l’étranger. L’espéranto a été créé pour être rapidement appris, et — plus important — pour être souple afin que chacun puisse l’utiliser sans paraître étranger, sans paraître stupide. L’anglais, pas du tout ! Mis à part si vous avez résidé plusieurs années dans un pays anglophone, vous ne maîtriserez jamais ses règles décrites, l’énorme quantité d’expressions et les nuances subtiles de la langue.
Une langue nationale est un labyrinthe générateur de confusion pour l’étranger. C’est comme les pelures d’un oignon, et quand vous comprenez un aspect de la langue, vous pouvez être certain qu’en dessous se trouvent des exceptions et des nuances incompréhensibles. Apprenez l’anglais. C’est une langue riche et superbe, et les peuples qui la parlent sont affables, et leurs cultures très intéressantes. Mais comprenez absolument que cette langue ne convient pas comme outil pour la communication internationale. Pensez aux personnes de votre pays qui font des erreurs dans leur propre langue. Pensez aux erreurs que vous faites vous-même dans votre langue maternelle. Croyez-vous que des locuteurs non natifs seraient capables de concourir équitablement ? Est-ce un tel monde d’injustice que vous voulez créer ? En tant que citoyens du monde, en tant qu’humanité, sommes-nous fiers de ce monde ?
Je voudrais enfin ajouter une réflexion sur ce monde que nous créons. J’ai commencé par parler des États-Unis, mon pays, et de son importance dans notre monde. Pourquoi est-il important ? Je pense qu’une des raisons les plus justes se trouve dans notre force. Pas spécialement la force militaire, mais la force dans le commerce, les relations diplomatiques, les beaux-arts, les sports et une quantité d’autres domaines divers. Pourquoi sommes-nous si forts ? A mon avis, c’est parce que nous sommes un pays de 50 États séparés. Ces États collaborent, communiquent, mettent en commun leurs diverses forces et forment ainsi une union beaucoup plus forte que la somme des 50 États eux-mêmes. Nous voyons maintenant une même prise de conscience de l’Union européenne. Je vous invite à penser à notre monde. Comment est-il ? Comment pourrait-il être si nous, les citoyens du monde, nous pouvions communiquer efficacement et ainsi nous comprendre et partager nos divers points forts ? J’affirme que nous sommes incapables de créer un tel monde avec une langue nationale comme outil de communication internationale. Par chance, nous avons une langue qui est adéquate, qui est juste, qui permet à chaque homme de déclarer : « Me voici, citoyen du monde, un homme parmi les autres hommes, laissez-moi vous montrer qui je suis. » Voici l’intercompréhension. Voici ce que permet l’espéranto. Voici notre monde.
Texte original publié en espéranto dans « Litova Stelo » (L’Étoile lituanienne).
Traduit de l’espéranto en français par Henri Masson.
l’auteur de cet article est DEN DROWN (d’après https://www.sat-amikaro.org/the-english-advantage)
La barrière linguistique anglophone freine considérablement la science, révèle une enquête internationale
Valisoa Rasolofo & J.Paiano 20/07/2023
https://trustmyscience.com/anglophone-non-natif-cout-considerable-recherche-scientifique-enquete/
Dans la science, l’anglais est la langue de communication principale, que ce soit pour les documents écrits ou les présentations. Cependant, cela entraîne des inégalités substantielles dans la contribution des anglophones non natifs. Une enquête effectuée auprès de 908 scientifiques internationaux révèle que les anglophones non natifs ont globalement des difficultés considérables à lire et à écrire les articles et leur participation aux conférences internationales est considérablement réduite. Cette réalité a très probablement des impacts conséquents en matière d’avancées scientifiques.
Si environ 1,4 milliard de personnes dans le monde sont anglophones, seules 360 millions parlent anglais de façon native. Pourtant, 95% des articles scientifiques sont écrits et publiés en anglais et la maîtrise parfaite de cette langue est un ticket d’entrée dans le monde universitaire. Cette prédominance anglophone contribue à creuser les inégalités, affecte les carrières universitaires et entrave les avancées scientifiques.
Il est important de savoir que l’anglais n’a pas toujours été la langue prédominante dans la science. Par le passé, les échanges scientifiques s’effectuaient par le biais de langues considérées d’importance régionale telles que le sanskrit, le persan, le chinois et le grec. Les autres langues européennes, dont l’anglais, sont arrivées plus tard avec le colonialisme. Entre les années 1880 et 2000, l’utilisation de l’anglais est passée de 38% à 90% dans les publications en biologie, chimie, médecine, physique et mathématiques, au détriment d’autres langues telles que l’allemand, le français et le japonais.
La collaboration et l’inclusivité scientifiques impliquent la participation d’une diversité de personnes, afin de mettre les idées et les connaissances en commun et exploiter le potentiel des communautés défavorisées. Or, les anglophones non natifs — composant la grande majorité de la population mondiale anglophone — rencontrent un grand nombre de difficultés dans le domaine scientifique et souffrent parfois d’inéquité dans le développement de leur carrière.
Les résultats de la nouvelle analyse, détaillés dans PLOS Biology, sont révélateurs. L’étude constitue l’une des rares à traiter de la barrière linguistique dans la recherche scientifique. Des recherches antérieures avaient notamment déjà évoqué des difficultés concernant la rédaction et la publication des articles par les anglophones non natifs. Cependant, la présente enquête serait l’une des seules à ce jour à en quantifier précisément les impacts.
Tatsuya Amano, auteur principal de l’étude et lui-même anglophone non natif, affilié à l’Université du Queensland, affirme avoir été choqué par les résultats. « En tant qu’anglophone non natif, j’ai vécu ces luttes de première main et je savais qu’il s’agissait de problèmes communs, mais je n’avais pas réalisé à quel point chaque obstacle individuel était élevé par rapport aux anglophones natifs », explique-t-il dans un communiqué. Les experts ont d’ailleurs découvert qu’un grand nombre de scientifiques très probablement prometteurs ont dû abandonner leurs carrières pour cause de barrière linguistique.
Un grand désavantage en début de carrière et pour les pays à faibles revenus
Dans le cadre de leur enquête, Amano et son équipe ont rassemblé 908 scientifiques environnementaux (écologistes, biologistes de l’évolution, de la conservation et autres disciplines connexes). Ce domaine particulier a été choisi en raison du contexte environnemental actuel (crise climatique et de la biodiversité), un défi mondial nécessitant des solutions en urgence provenant de tous horizons. Chaque participant à l’étude devait avoir publié au moins un article scientifique en anglais et évalué par des pairs.
Les scientifiques enquêtés étaient de 8 nationalités différentes, à savoir : bangladaise (106 personnes), bolivienne (100), britannique (112), japonaise (294), népalaise (82), nigériane (40), espagnole (108) et ukrainienne (66). Ces nationalités ont été catégorisées selon le niveau de compétence en anglais pour chaque pays d’origine et le revenu standard (selon les indices économiques de la Banque mondiale).
Sur la base de ces mesures, les participants ont été classés comme suit : les Bangladais et Népalais ont une faible maîtrise de l’anglais et un revenu moyen-inférieur, tandis que les Japonais ont également une faible maîtrise de l’anglais, mais un revenu élevé. Les Boliviens et Ukrainiens ont une maîtrise modérée de l’anglais et un revenu moyen-inférieur, tandis que les Espagnols ont une maîtrise modérée de l’anglais et un revenu élevé. Les Nigérians utilisent l’anglais en tant que langue officielle et ont un revenu moyen-inférieur, de même que les Britanniques, qui ont un revenu élevé.
Le sondage invitait les participants à communiquer sur la quantité d’efforts nécessaire pour mener 5 catégories d’activités scientifiques, incluant : la lecture d’articles, la rédaction, la publication/diffusion, ainsi que la participation à des conférences. L’objectif de l’enquête est notamment de distinguer l’effet des barrières linguistiques de celui d’autres types de barrières liées à la science (économiques et participation aux conférences) qui sont souvent confondues avec les premières.
Les résultats ont révélé de nets et substantiels inconvénients pour les anglophones non natifs. Ces derniers ont notamment besoin de deux fois plus de temps pour lire et rédiger des articles et effectuer des présentations en anglais. Une fois soumis, leurs articles ont 2,6 fois plus de risques d’être rejetés et 12,5 fois plus de risques de recevoir une demande de révision. Ces risques ne concernent nullement la qualité de leurs travaux, mais uniquement leur niveau de rédaction en anglais.
En outre, les nationalités à maîtrise modérée de l’anglais passent en moyenne 46,6% plus de temps à lire les articles rédigés en anglais. Ce chiffre passe à 90,8% pour ceux à faible maîtrise de la langue. Cette différence se retrouverait même chez les chercheurs en milieu et en fin de carrière. D’autre part, un grand nombre d’entre eux renoncent à assister ou à participer à des conférences internationales (c’est-à-dire en anglais), de crainte de ne pas pouvoir communiquer correctement. Les auteurs de l’étude ont constaté que ces difficultés affectent de manière disproportionnée les scientifiques en début de carrière et originaires de pays à faibles revenus.
Nous devons abandonner ce vieux système. N’importe qui dans n’importe quelle partie du monde devrait pouvoir participer à la science, estime Amano. Ce dernier propose des solutions potentielles telles que l’édition gratuite en anglais, ou le soutien financier des efforts visant à surmonter les barrières linguistiques. À noter que des services de révision et de traduction sont actuellement disponibles, mais sont coûteux, surtout pour ceux en début de carrière, sans compter la baisse du nombre de lecteurs au cas où l’article n’est pas initialement publié en anglais…
Source : https://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.3002184
Pourquoi l’anglais fait tomber les avions ( Anna Lietti , 8 juillet 2019)
Cet été entre en vigueur la nouvelle loi sur l’aviation civile qui impose l’anglais comme seule langue dans l’espace aérien helvétique. L’occasion de se souvenir que beaucoup d’accidents d’avion sont causés par une mauvaise communication linguistique. Et que l’anglais est, notamment sur le plan phonétique, particulièrement inadapté à la fonction de langue internationale.
Le petit aéroport régional de Los Rodeos est saturé et plongé dans le brouillard. Seul repère pour les pilotes sous pression: les instructions verbales de la tour de contrôle. Lorsque le capitaine américain du Boeing 747 de la Pan Am entend «Leave the runaway third, third to your left», il a un doute: a-t-il entendu «first» ou «third»? Doit-il quitter la piste à la première à gauche ou à la troisième? Il demande au contrôleur espagnol de répéter. Celui-ci s’exécute, mais sans lever en aucune manière l’ambiguïté: «The third one» dit-il, ce qui peut tout aussi bien s’entendre comme «the first one». C’est ainsi que s’amorce, en ce 27 mars 1977 à Tenerife, le fatal enchaînement de malentendus et de dysfonctionnements qui aboutit à l’accident le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation civile. L’enquête l’a établi: la mauvaise communication linguistique a joué un rôle décisif dans ce drame qui a fait 583 morts.
L’exemple est loin d’être isolé. Le pourcentage d’accidents d’avion causés par une communication défaillante est considérable: de 11% à 70% selon les études et la manière de compter. Et ce chiffre est appelé à gonfler, vue l’augmentation constante du trafic intercontinental, relève une recherche sur le rôle de l’anglais dans les accidents d’avion1. Lorsqu’un pilote kazakh et un contrôleur aérien indien croient parler la même langue, il arrive qu’ils échouent à s’entendre, même sur une donnée élémentaire comme l’altitude de vol. Résultat: un autre crash historique comme celui de New Dehli en 1996: 351 morts.
Le mauvais choix
Si le rôle de la communication en général dans les accidents d’avion est largement documenté, note Atsushi Tajima, auteur de l’étude citée, celui de l’anglais en particulier et de ses différentes prononciations à travers la planète l’est nettement moins. Il est pourtant crucial, assure-t-il. Toute personne ayant participé à un colloque international et sué pour déchiffrer les interventions des experts indiens ou chinois comprendra de quoi on parle.
Atsushi Tajima plaide pour la mise à contribution d’experts linguistes dans le peaufinage d’un meilleur «mistake-free standart english.» Le traducteur et espérantiste Claude Piron va plus loin dans «Le défi des langues»2: l’anglais, de par sa nature même, est particulièrement inadapté à la fonction de langue de l’aviation, explique-t-il. Si on veut un idiome «mistake-free», on ferait bien d’en choisir un autre. L’italien serait un excellent candidat. En d’autres termes: si la langue de l’aviation était celle de Modugno et non d’Elvis Presley, il y aurait moins de morts dans des accidents aériens.
Le postulat est bien sûr invérifiable. Mais comme la nouvelle loi suisse sur l’aviation civile, qui entre en vigueur cet été, impose l’«english only» dans l’espace aérien helvétique – même pour les vols domestiques et jusque sur les plus petits aérodromes –, on ne peut que s’y intéresser.
Une torture pour les Asiatiques
Beaucoup d’avions tombent parce qu’il faut bien communiquer dans une langue internationale et cette langue sera inévitablement mal maîtrisée ou trop diversement prononcée par beaucoup d’acteurs de la scène aérienne, c’est une fatalité communément admise. Mais ce qu’ajoute Claude Piron, c’est que toutes les langues ne sont pas également équipées pour remplir cette fonction d’idiome international: certaines sont plus difficiles que d’autres à comprendre et à produire par une majorité d’habitants de la planète. C’est le cas de l’anglais, qui est particulièrement torturant pour les Asiatiques et les Slaves, notamment à cause de son système phonologique: «Peu de langues ont une telle gamme de sons-voyelles dont beaucoup n’existent pas dans les langues des autres peuples», écrit-il. La plupart des terriens sont par exemple incapables de différencier entre «ship» et «sheep», «bath», «bat», «bet», «bate» et «but» ou encore «bate», «bet», «bit» et «beat». Ajoutez à cela une «grammaire floue», une abondance d’idiotismes et un vocabulaire immense, issu de la coexistence des racines latines et germaniques.
Conclusion: Le choix de l’anglais pour la communication internationale est «particulièrement inadapté» et « antidémocratique», puisqu’il discrimine gravement une bonne partie de l’humanité. Si l’italien serait «une langue internationale bien supérieure», c’est avant tout grâce à la clarté de son système phonologique: les sons vocaliques, notamment, y sont nettement moins nombreux qu’en anglais (mais aussi qu’en français: pas de nasales). Or, plus la gamme des sons d’une langue est restreinte, plus ces sons seront distincts les uns des autres. Et plus ils auront de chances de sonner familiers aux oreilles d’une majorité d’habitants de la planète.
Un autre excellent candidat à la fonction de langue internationale serait l’indonésien, qui, en plus de l’avantage phonétique, présente celui d’une grammaire particulièrement régulière, explique encore l’auteur de Le Défi des langues, mort en 2008. Claude Piron a été traducteur à l’ONU et à l’OMS avant de devenir un avocat convaincu de l’espéranto: il y voyait un moyen de corriger la position d’infériorité dans laquelle les non-anglophones se retrouvent d’emblée et «de facto» sur la scène internationale.
Les années ont passé, l’espéranto vit sa vie, avec une communauté de locuteurs vivante, surtout en Amérique Latine et en Asie. Mais l’espoir de le voir adopté comme langue internationale est mince, tout comme sont minces les chances de l’italien ou de l’indonésien: ce sont les rapports de force économiques et politiques à l’échelle planétaire qui décident de la domination de telle ou telle langue, pas les critères linguistiques.
Les pilotes suisses qui sont en train de bûcher leur anglais en vue d’un prochain atterrissage à Payerne se consoleront: la piste de l’aérodrome vaudois n’a que deux voies d’accès. Ils n’auront pas à se battre avec le «th» de «third», ce son si peu familier, aussi difficile à entendre qu’à reproduire.
Source : https://bonpourlatete.com/actuel/pourquoi-l-anglais-fait-tomber-les-avions