Umberto Eco, une vision de l’Europe
A l’occasion du décès du professeur Umberto Eco, la commission Langues et Espéranto d’EELV souhaite rendre hommage à l’éminent linguiste, au romancier visionnaire et au grand Européen qu’il fut. A l’opposé des thuriféraires de l’accent circonflexe, Umberto Eco faisait vivre le langage comme le messager du sens et non comme l’esclave de la règle. Comme son héros le détective médiéval Guillaume de Baskerville il bousculait les modes de pensée figés et traquait les vérités jusqu’au bout. Il restera pour nous une source puissante d’inspiration.
Parmi les textes parus à l’occasion de sa disparition, nous vous proposons l’extrait suivant qui touche de plus près le travail de notre commission.
Le professeur Umberto Eco avait eu un pressentiment lors d’un entretien avec Franz-Olivier Giesbert publié dans « Le Figaro » (19 août 1993, p. 11) :
“On ne fera jamais l’Europe si on ne tient pas compte du problème de la compréhension mutuelle. Quand des gens de trois ou quatre pays du Continent se rencontrent, il faut qu’ils puissent communiquer entre eux. Là-dessus on est tous très en retard. On enseigne les langues sans se soucier de leur importance dans le monde d’aujourd’hui.”
Lors du même entretien, il avait reconnu la nécessité d’arriver à un “plurilinguisme raisonnable“ : “Je pense qu’une langue « véhiculaire » est nécessaire, mais qu’en même temps il est nécessaire d’arriver à un plurilinguisme raisonnable. On ne peut pas passer son temps à apprendre toutes les langues, mais il faut acquérir une certaine sensibilité aux différents langages.“
Et il avait admis qu’une une autre voie était digne d’attention et d’examen : “Il pourrait s’avérer que demain, dans une Europe unie, chaque pays refusant que la langue véhiculaire soit celle de l’autre, on arrive à accepter l’idée d’une langue véhiculaire artificielle.”
Umberto Eco – Polyglotte, sémioticien (spécialiste de la signification et de la représentation des signes), auteur de romans à succès (“Le Nom de la rose“ — Prix Médicis, porté à l’écran —, “Le Pendule de Poucault“…) et d’ouvrages spécialisés (“Lą recherche de la langue parfaite“), professeur au Collège de France (1992-1993), Umberto Eco a reconnu ne pas avoir pris l’espéranto au sérieux avant d’être amené à l’étudier pour préparer un cours au Collège de France sur le thème “La quête d’une langue parfaite dans l’histoire de la culture européenne“. Il en a fait un ouvrage publié à Paris en 1994 dans la collection « Faire l’Europe » des édition du Seuil sous le titre “La recherche de la langue parfaite“ (448 p., traduit en diverses langues dont l’espéranto).
Cette “sensibilité aux différents langages“ si nécessaire évoquée par Umberto Eco ne peut être donnée avec une efficacité optimale que par une langue logique, accessible même aux élèves les moins doués, éveillant le goût de la découverte, favorisant la créativité et l’inventivité, familiarisant l’esprit à divers types de syntaxes, de structures (flexionnelles, agglutinantes, isolantes) et de constructions linguistiques (analytiques ou synthétiques).
Lors d’un entretien accordé à la revue “Esperanto” (janvier 1993), il avait expliqué que, « dès que pour des raisons scientifiques, j’ai commencé à m’occuper un peu de l’espéranto, j’ai changé d’avis et adopté une attitude plus souple”, et aussi, à l’“Événement du Jeudi“ : “J’ai étudié la grammaire de l ‘espéranto — ça ne veut pas dire que j’ai appris à le parler — et j’ai constaté que c’est une langue construite avec intelligence, et qui a une histoire très belle.“
Lors d’une émission sur “Paris Première“, le 27 février 1996, il répondit à une question de Paul Amar qui lui parlait d’échec de l’espéranto, que l’on ne pouvait pas parler d’échec : “C’est une langue très, très bien faite. Du point de vue linguistique, elle suit vraiment des critères d’économie et d’efficacité qui sont admirables. Tous les mouvements de langues internationales ont raté sauf l’espéranto qui continue de rassembler des quantités de gens à travers le monde, parce que derrière l’espéranto, il y a une idée, un idéal.“
Il s’exprima aussi à l’occasion du 5ème Congrès International de Sémiotique, à Santiago de Compostelle, en Espagne :“Umberto Eco demande le soutien politique pour la diffusion de l’espéranto. Eco considère que l’espéranto pourrait devenir la langue véhiculaire mondiale s’il disposait d’un soutien politique.“ (“La Voz de Ganda“, 6 décembre 1992).
Voir aussi le texte de Henri Masson